CASSE PIPE : une biographie

" la vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie. " - André Gide -


Débuts d'aventures

" Casse Pipe " naquit de la rencontre de Louis-Pierre Guinard en rupture de " Bal perdu " et de Philippe Onfray mais il eut fallu bon nombre de contacts impromptus pour que ces deux là s’apprivoisent. Ils avaient déjà fait des disques et vivaient du côté d’Erquy (Côtes d’Armor). A l’époque (été 88), Philippe sillonnait les routes bretonnes pour le compte d'’Europe 2 et Louis-Pierre exerçait ses talents de crêpier au " Sunset ", un bar concert d’Erquy. De temps à autre, ce dernier tombait le tablier pour venir se réchauffer publiquement les cordes vocales sur des airs de " Bal perdu ". Un soir d’été 89, " la chanson de Craonne ", une valse écrite par des soldats mutins en 1917, vint frapper le cortex du grand bonhomme au passé free punk intrigant présent dans l’assistance. Le texte résolument antimilitariste devait rapprocher les deux hommes et donner le ton de leur future collaboration musicale qu’ils baptisèrent " Casse-Pipe " du nom du roman de Louis-Ferdinand Céline racontant ses premiers jours d’incorporation pendant la première guerre mondiale. " Casse-Pipe, ça veut dire crever de rage ! " Louis-Pierre (Pollen France Inter).

Philippe qui avait délaissé l’accordéon depuis fort longtemps rechaussa ainsi l’instrument de son enfance et les deux compères débutèrent un travail sur la base du répertoire de " Bal perdu " notamment empreint des chansons noires des années trente et de l’inépuisable album " Fonds de tiroirs " de Modiano et De Courson.. Gainsbourg, Ferré, Rimbaud et quelques morceaux traditionnels bretons étaient également à l’honneur. Fait de quêtes d’amours impossibles, d’histoires sordides et de chansons toxiques, l’univers de Casse-Pipe se construisit peu à peu. " J’aime cette citation de Prévert : la nouveauté, c’est vieux comme le monde. " (Louis-Pierre).

Profitant de leurs temps libres, Louis-Pierre et Philippe mirent bientôt au point une huitaine de morceaux et se décidèrent à affronter le public dès février 90 du côté de St-Brieuc en préambule du concert de " Sue & les Salamandres ", leur premier parrain. La prestation de " Casse-Pipe " ne laissa pas indifférents les feuilles et les mirettes de Daniel Riot, le gérant du lieu qui devint plus tard le régisseur général de la troupe.

Mais en attendant, le duo fit de nouvelles apparitions scéniques réussies drainant avec eux le soutien de quelques fidèles dont un ami photographe qui les incitait à monter un véritable spectacle. L’idée fit tranquillement son chemin bien que les deux hommes aient derrière eux une approche théâtrale de la musique. Louis-Pierre était spécialiste de l’ambiance chicos pervers genre cabaret berlinois héritée du temps de " Bal perdu " et Philippe collaborait de temps à autres avec la troupe du " théâtre du Ha-Ha " de Lamballe (22) animée par Denis Flageul.

" On se hâte doucement " déclarait Louis-Pierre (Pollen) mais à force de travail et d’encouragements, " Casse-Pipe " présenta le spectacle " Sur les traces de Johnny Palmer " début mars 91 à Quessoy (22) dans l’arrière-salle du bistrot-cabaret du village aménagée pour l’occasion en théâtre. Composé d’une vingtaine de chansons, le spectacle subtilement teinté d’un côté anar à décoiffer les bigoudens tint toutes ses promesses. Le soir de la dernière, au moment de jouer " la Javanaise "de Gainsbourg, l’ultime rappel du duo, le courant sauta et vint interrompre le final du spectacle. Quelques instants plus tard, dans la salle du bar, une nouvelle venait de tomber : l’homme à la tête de choux s’était éteint…Le spectacle " Sur les traces de Johnny Palmer " aussi.

Allégés des décors hormis le rideau rouge de fond de scène, le duo continua à sillonner les routes bretonnes au volant d’une 2CV allant jusqu’à interpeller le public rock rennais avec la reprise en français version " Casse-Pipe " de " Anarchy in the UK " des Sex Pistols. Judicieusement choisi, le morceau avait pour don de forcer l’écoute de jeunes spectateurs peu enclins à tendre l’oreille au son de l’accordéon. Délaissant ponctuellement le tour de chant du moment, le duo participa à un spectacle, " Hommes de feu et chants de braise ", proposé par la MJC de Lamballe (22) pour le centenaire de la mort de Rimbaud. Travaillé dans l’urgence,  les chansons de " Casse-Pipe " étaient alors entrecoupées de petits quatrains du poète maudit. En 91 toujours, Louis-Pierre et Philippe tentèrent d’assouvir davantage leurs attirances littéraires en débutant un travail sur " le condamné à mort " de Jean Genet. Non abouti, le projet ne fut que partie remise. Néanmoins, la lecture du " journal d’un voleur " inspira à Louis-Pierre le premier jet de " Stilitano ", futur classique de " Casse-Pipe ".

L’histoire de Johnny Palmer avait bien bourlingué dans la région et la présence de Daniel Riot auprès du duo était loin d’y être étrangère. Début 92, ce dernier profita d’une prestation des porte-drapeaux de " la chanson des gueux " pour convier son frère Gil Riot, éminent membre de la bouillonnante scène rock rennaise des années 80 ( P.38, les Conquérants, tournées avec Marc Seberg et Dominic Sonic…) . Le courant passa et la rencontre déboucha vers de nouveaux horizons. " Casse-Pipe " venait de trouver là un guitariste-compositeur de haut vol et " Dizzy Romeo ", le groupe de Gil, s’étoffait dans le même temps du renfort de Philippe et de sa boîte à frissons.

La période laboratoire du duo de la chanson noire touchait ainsi à sa fin après environ 200 concerts.

 


CASSE PIPE s'agrandit...

Après seulement quatre concerts à trois, " Casse-Pipe " releva le défi lancé par le joyeux " Comité des Profêtes " : celui de former un vrai groupe pour le concert de clôture du festival de Moron. Au trio nouvellement constitué s’étaient ainsi joints pour l’occasion René Boisard à la basse, Paul Gasnier au violon et Tonio Marinescu (Kalashnikov, Dominic Sonic, les Nus, Dizzy Romeo …) à la batterie. Ce dernier avait croisé bien des fois le chemin de Louis-Pierre et de " la Mirlitantouille " du temps où " les Kalashnikov, son premier combo punk défrayait les chroniques : " on faisait des anti-festnoz parce qu’on était un groupe punk et on déboulait dans les loges de la Mirlitantouille pour leur piquer leurs bières et éventuellement en pousser une ou deux avec eux… ". L’alchimie opérant, le big band de la chanson noire avait revisité pas moins de 18 morceaux pour sa première répétition...S’illustrant d’abord en quatuor (avec Tonio) en remplacement d’un groupe absent, " Casse-Pipe " referma brillamment l’événement un soir d’avril 92. Dans la foulée, la formation se stabilisa à quatre sous la houlette de Daniel Riot et enchaîna une cinquantaine de concerts qui permirent de consolider le noyau dur de la troupe. Riche d’expériences et d’influences multiples allant du punk débridé à la musique trad’ en passant par la chanson réaliste et le jazz manouche, ces touches à tout ne laissaient jamais indifférent quiconque mettait ses sens en éveil à leurs exactions.

Partageant le goût du travail dans l’urgence et de l’audace, les " Casse-Pipe " réinventèrent avec le soutien du " Comité des Profêtes " le concept de la tournée mondiale. Le premier monde auquel ils choisirent de rendre visite fut la ville de Rennes, l’enjeu étant de jouer dans un maximum d’endroits le temps d’une journée. Ainsi, le marathon de la chanson noire mit à contribution une dizaine de techniciens chargés de câbler les étapes de la troupe au fur et à mesure de leur progression. Parmi ces haltes, il y eut des bars évidemment, mais aussi des lieux plus insolites tels une laverie automatique, un marché de quartier…où Casse-Pipe distillait un quart-d’heure de morceaux au vitriol…Au cours de son avancée, l’événement qui avait été discrètement annoncé draina un public sans cesse croissant et la fête s’acheva vers 4H du matin.

En octobre, le groupe clôtura avec panache le festival " Art Rock’ " de St-Brieuc ce qui lui valu d’entrevoir plus concrètement l’enregistrement d’un album avec le soutien de la Passerelle (scène nationale) et de la municipalité.

Désireux de conserver une dimension humaine et une indépendance certaine, la formation créa sur l’initiative de Daniel Riot l’association " Casse-Pipe Production " obtenant par la même occasion une licence d’organisateur de spectacle.Rassemblés autour d’un univers un peu anar, un peu anti-tout, les " Casse-Pipe " ont toujours connu un fonctionnement libertaire où toutes les décisions du groupe sont prises à l’unanimité. Sincérité, pudeur, " faut que tout l’ monde soit d’accord ! ".

Le quatuor se stabilisant sous la coupe de Daniel, régisseur général et sonorisateur, il ne manquait plus à la formation qu’un troisième œil pour souder l’histoire. Christophe Lecouflet déboula ainsi dans l'histoire avec notamment sous le bras une boîte à fumée...


Tome 1 : chansons noires

En juin 93, " Casse-Pipe " investit les lieux accompagnés de deux invités : Paul Gasnier au violon et Sam Manson au piano et au violoncelle pour les répétitions de leur premier opus. A l’époque, le groupe possédait un répertoire d’une trentaine de chansons. Douze morceaux avaient été choisis pour être mis en boîte, d’autres patientaient...

La troupe prit le mois suivant le chemin du studio Philpen de Châteaugiron (35) pour mettre en boîte " Chansons noires " sous la production artistique de Chris Mix. Financé à coups de subventions et de prêt bancaire, l’album autoproduit fut tiré à mille exemplaires et sortit dans la région en fin d’année. Présenté comme une couverture de série noire, le disque regroupait le répertoire majeur des concerts de la formation. Entre chansons d’amour, morceaux toxiques et histoires sordides, " Casse-Pipe " exorcisait les mots par des textes d’une terrible noirceur servis par des compositions revêtant le plus souvent des airs de fête. " La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie ! " (André Gide).

Bien décidée à exporter la chanson noire en dehors de la Bretagne, les musiciens expédièrent leur disque encore tout chaud à cinq personnalités qu’ils espéraient voir conquis par leur univers. Cette judicieuse initiative leur ouvrit des horizons inespérés. Les coups de pouce de Christian Caujolle (Directeur de l’Agence VU et chroniqueur dans Globe hebdo ?)), Philippe De Brenne (alors assistant de Jean-Louis Foulquier sur France-Inter), Christian Lacroix (le couturier), Juliette Gréco et LN Hazéra (spécialiste de la chanson française notamment pour Libération) leur valurent entre autres d’être diffusés sur les ondes nationales et de trouver un distributeur à l’échelle de l’hexagone.


Tournée mondiale

Partageant le goût du travail dans l’urgence et de l’audace, les " Casse-Pipe " réinventèrent avec le soutien du " Comité des Profêtes " le concept de la tournée mondiale. Le premier monde auquel ils choisirent de rendre visite fut la ville de Rennes, l’enjeu étant de jouer dans un maximum d’endroits le temps d’une journée. Ainsi, le marathon de la chanson noire mit à contribution une dizaine de techniciens chargés de câbler les étapes de la troupe au fur et à mesure de leur progression. Parmi ces haltes, il y eut des bars évidemment, mais aussi des lieux plus insolites tels une laverie automatique, un marché de quartier…où " Casse-Pipe " distillait un quart-d’heure de morceaux au vitriol…Au cours de son avancée, l’événement qui avait été discrètement annoncé draina un public sans cesse croissant et la fête s’acheva vers 4H du matin...

En février 94, le groupe réitéra son exploit à Brest achevant la performance dans un resto du quartier des putes par " la javanaise " reprise en chœur par 200 personnes, puis, partit à la conquête de l’hexagone dès avril renforcé de Sam Giard au violoncelle.

Média 7 permit à " Chansons noires " de trouver place dans les bacs des chalands de la France entière en milieu d’année, Kerig restant le distributeur de l’album dans l’ouest. Rencontre avec Jean René Courtès également producteur.

Profitant d’espaces scéniques médiatiquement porteurs (l’Elysée Montmartre en première partie de Dominic Sonic (ex-chanteur des Kalashnikov), les Jeudis du Port à Brest, les Francofolies de La Rochelle en off (rencontre avec Pagès)), le groupe s’attela à la création d’un nouveau spectacle : " le petit théâtre de Casse-Pipe ".


Le petit théâtre de CASSE PIPE

Soutenue par l’ODDC, la troupe travailla notamment sur une scénographie originale qui, outre des décors particuliers, mit en scène deux danseuses. Malgré toute l’énergie déployée durant les répétitions Guingampoises , les premières représentations du spectacle ne suscitèrent pas l’intérêt escompté chez les programmateurs et les " Casse-Pipe " jouèrent alors un coup de poker. En guise de mise, le groupe investit ses deniers dans la location d’un petit théâtre à l’italienne parisien, le théâtre Clavel, d’une capacité d’accueil d’une centaine de spectateurs…

Les décors suivirent, les danseuses restèrent à quai.

Du 9 au 12 novembre 94, l’ouverture rouge-flammes du petit théâtre de Casse-Pipe ne suffit pas à mobiliser le public. Tenaces, les musiciens allaient réserver un nouvel assaut aux spectateurs parisiens mais, pour l’heure, la troupe partit se ressourcer dans le Sud (Montpellier " l’Antirouille, Toulouse " le Bijou ") pour des concerts payés à la recette..

Début décembre, les Transmusicales de Rennes et la salle de l’Ubu leur réservèrent un accueil des plus chaleureux altérant ainsi une certaine amertume de l’expérience Clavel. Ce concert des Casse-Pipe fut mis sur bande au cas où… A la même affiche figuraient Celta Cortos et des amis :" Jack O’Lanternes ".

Sam Giard, le violoncelliste, s’éloigna alors quelque peu de la troupe pour se consacrer à l’enseignement. (réapparitions ponctuelles :enregistrement de tout fout l’camp – Mini-CD " Viva la muerte ", album " Casse-Pipe "...).

Ce départ ajouta son grain de chaos aux états d’âme des Casse-Pipe. Le groupe navigue alors quelque peu en eau trouble et le doute de parvenir à convaincre un public plus large que les fidèles bretons se bouscule dans l’esprit des musiciens. De plus, la seconde quinzaine de janvier 95 est déjà placée sous le signe du " petit théâtre " à Clavel. Pour ré-affronter le public parisien, " Casse-Pipe " fit appel à une nouvelle recrue, Christophe Menguy. Ce dernier s’était illustré dans de nombreux groupes éphémères folk et rock à la guitare et au chant ; il avait créé avec Sam Giard l’association " les transducteurs " et composait alors des pièces musicales illustrant notamment des expositions plastiques,

Christophe étant pressenti pour jouer de la basse acoustique, le musicien travailla d’arrache-pied durant le mois précédant les dates parisiennes. A cet époque, CASSE PIPE, " c’était un quatuor en détresse avec un bassiste… " (Christophe ).

Le public bouda une nouvelle fois l’événement reléguant les espoirs de Casse-Pipe à d’autres échéances. Les finances du groupe étaient au plus bas…

 

Suite au prochain épisode...


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